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La loi du 11 février 2005 pour « l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », à l’élaboration de laquelle la CHA a grandement contribué, avait suscité un élan et de nombreux espoirs de la part des personnes handicapées, particulièrement avec la création de la PCH (prestation de compensation du handicap).


Cette PCH était censée apporter enfin une véritable compensation du handicap basée sur le projet de vie d’une personne, notamment dans le domaine des heures d’aide humaine. Les équipes d’évaluation pluridisciplinaires sous l’autorité des MDPH remplissaient leur mission en se référant à un cadre législatif et règlementaire pour quantifier l’aide en fonction de la situation et des besoins de la personne.


Dans un souci proclamé d’assurer des évaluations plus équitables sur l’ensemble du territoire la CNSA a produit en 2013 un guide à l’attention de ces équipes.
La lecture de ce guide (en expérimentation dans une dizaine de départements) ne peut que nous faire frémir, tant par son contenu très éloigné de l’esprit de la loi de février 2005 que par l'inhumaine froideur de la méthode.


Il n'y est plus question de projet vie, encore moins de vie comme on peut l’entendre pour un individu, un être humain, un citoyen. Ce sont les actes de survie qui sont pris en considération. Ici, « vivre » ne serait que pouvoir manger, boire, s’habiller, aller aux toilettes, dormir…


Les esprits bien-pensants qui ont élaboré ce document ont poussé leur « analyse » au point de minuter tous les actes de la survie avec une précision laissant pantois : mettre ses vêtements du haut 4 mn (hiver comme été…), se laver les dents en 2,5 mn, prendre son petit déjeuner 5 mn, manger en 15 mn de repas, boire 2 mn (avec un maximum de cinq fois par jour !!!), se rendre jusqu’aux toilettes en 2 mn de déplacement (pages 70 à 74 du guide)… et tout cela en complétant des fichiers Excel qui calculeront automatiquement le temps d’aide journalier : qui savait jusqu’à présent qu’il fallait 2 mn (et que 5 fois par jour !) pour parcourir la distance qui le sépare des toilettes ? Et que c’était suffisant !


Qu’est donc devenu le « projet de vie » ? Qu’est donc devenue la personne en situation de handicap ? Quel citoyen de notre pays comprendrait que les actes minimum de sa vie puissent être ainsi prédéfinis par un minutage aussi absurde qu’abject (il ne s'agit plus de personnes handicapées en tant que « sujet », mais bien en tant qu'objet que l’on va manipuler en fonction de critères techniques et déshumanisés), en complétant des fichiers Excel qui pondront machinalement quelques chiffres régentant tout le quotidien de l'aspirant citoyen.


L'existence même de ces minutages défie l’entendement. Que l’on minute les actes pour réparer une voiture, pourquoi pas, ce n’est qu’une machine, mais un être humain est tout sauf une machine !…


1 Tous les minutages proposés sont « a minima »


Bien qu'il soit précisé que les évaluateurs puissent tenir compte de facteurs aggravants, la CHA observe chez certaines MDPH chargées d’expérimenter ce guide une tendance à recourir systématiquement aux minimas indiqués.


Ces minimas remettent en cause l’un des principes essentiels de la loi 2005 transcrit comme suit : La notion de surveillance s'entend au sens de veiller sur une personne handicapée afin d'éviter qu'elle ne s'expose à un danger menaçant son intégrité ou sa sécurité (CASF ANNEXE 2-5 Chapitre 2 : Aides humaines, Section 2)


Un exemple : le dossier d’une personne unijambiste et de surcroit en surcharge pondérale. Elle avait besoin de porter constamment une protection. La MDPH se référant au tableau élimination du guide (page 73) lui a attribué 9 minutes pour le change de protection.


Pourtant, quelque soit le tableau, il est bien spécifié que les minimas s’appliquent si Aucun facteur ne vient majorer le temps d’aide. Cette MDPH, en attribuant le minima a donc considéré qu’être unijambiste et en surcharge pondérale ne constitue pas un facteur aggravant.


2- Ce guide interprète la loi de 2005


Exemple : Les déplacements dans le logement d’une personne handicapée peuvent atteindre 35 minutes, mais ce guide exclut du logement la terrasse, le jardin, sous prétexte que le texte précise : à l’intérieur du logement.

De plus, ce guide ne constitue pas une norme légale ni règlementaire puisque son utilisation n’est pas prévue dans la loi ni dans aucun de ses décrets d'application. Le seul article de la partie réglementaire du CASF fixant les modalités de l’évaluation est le suivant :


Sous-section 1 : Besoin d'aides humaines. Art. D. 245-5. - La prestation de compensation prend en charge le besoin d'aides humaines apprécié au moyen du référentiel figurant à l'annexe 2-5 du code de l'action sociale et des familles.


3- Les heures de nuit et plus généralement les heures de surveillance régulière


Ce guide prétend (page 21) : Il s’agit cependant bien d’interventions actives, qui nécessitent un lever de l’aidant et une action concrète auprès de la personne, et non d’une présence « au cas où ».


Cette affirmation est en complète contradiction avec l’article L245-4 du CASF qui stipule que le montant des aides humaines attribuées au bénéficiaire handicapé est évalué en fonction du nombre d'heures de présence requis par sa situation et fixé en équivalent-temps plein, en tenant compte du coût réel de rémunération des aides humaines en application de la législation du travail et de la convention collective en vigueur.


L'affirmation du guide défie le sens commun, c’est comme si on demandait à un veilleur de nuit d’une entreprise de n'être payé que lorsqu’il y aura des problèmes. Absurde !


4- Ce guide introduit une différenciation entre auxiliaire de vie salarié et aidant familial


Il y est prévu à deux reprises, pour la vie sociale et pour les interventions de nuit, de ne pas valoriser les heures des aidants familiaux, sous prétexte que de toute façon, ils sont là, alors…


- Participation à la vie sociale (page 19 du Guide) ; De même, les activités réalisées habituellement en famille ou en couple (spectacles, promenades, visites dans la famille, …) ne doivent pas être systématiquement valorisées dans le cadre de la participation à la vie sociale et il conviendra d’analyser cet élément en fonction de chaque situation. En effet, lorsque la participation à la vie sociale se fait au sein de la cellule familiale sans différence particulière avec les activités communes habituelles des familles et que le handicap ne génère pas de contrainte particulière, l’activité ne doit pas être valorisée au titre de la PCH.


- Concernant les interventions de nuit, il est difficile de généraliser leur valorisation qui devra tenir compte de la situation concrète de la personne. Par exemple, si l’aidant habite sur place (en général un aidant familial) seul le temps de l’intervention proprement dite sera pris en compte. Si l’aidant vient de l’extérieur (prestataire, garde itinérante de nuit …) les modalités concrètes de son intervention devront être prises en compte.


Nous avons assisté en Ille et Vilaine à une évaluation d’une personne handicapée, ou l’évaluateur demandait à l’aidant familial de préciser le nombre et la durée des interventions de nuit… Cela pouvait varier pour cette personne d’une ou deux fois par nuit, de 5 à 60 minutes voire plus, la nuit entière. Les aidants familiaux devront-ils tenir une comptabilité exacte de ces heures de nuit ? Quand bien même ils le feraient, il serait attribué une moyenne et c’est ce qu’a fait l’évaluateur.


Les personnes à l'origine de ce guide ne mesurent pas la réalité de la vie d’aidant familial. Ignorent-ils à ce point ce que cela sous-entend pour lui comme grande dépendance ?


5- Ce guide installe les conditions de multiples maltraitances… et c’est le plus grave aux yeux de la CHA


Ce guide, de par l'introduction de minutages stupides et inappropriés, remet sur le devant de la scène la notion de « MALTRAITANCE PASSIVE » telle que décrite par Madame Marie-Thérèse Boisseau dans sa déclaration de 2003.


En effet, la ministre insistait sur l'existence de très nombreuses formes de maltraitance insidieuse, plus ou moins passive ». « La première étant peut-être d'obliger quelqu'un à vivre d'une manière qu'il n'a pas choisie, de lui imposer le fauteuil roulant, des repas qui ne correspondent pas à son histoire ou à sa culture, le mixage de toute nourriture, ou le gavage, pour aller plus vite. Il y a maltraitance quand on répond avec retard au désir de la personne d'aller aux toilettes ou quand on lui conseille de faire dans sa couche, augmentant ainsi les liens de dépendance. Tout cela, souvent par manque de temps ou de personnel, mais pas seulement.

 

photo manif