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Délégation des gestes de soins : voici une lettre qui vient d'être adressée à Madame Carlotti, de la plume d'une maman qui refuse l'enfermement de sa fille, et qui en paie le prix.
« Le 06 février 2014
Madame,
Par la présente je me permets de solliciter votre bienveillance suite au discours que vous avez prononcé le 22 janvier 2014 à l’IEM la Courtille. Je mets en vous mes derniers espoirs de croire à la France et à sa devise républicaine « Liberté, Egalité, Fraternité ».
Ma famille et moi sommes confrontées à une situation d’urgence. Difficile d’être synthétique et de vous permettre en quelques lignes de comprendre la situation alors , au préalable , je suis obligée de vous raconter un peu de notre histoire.
J., ma fille, vient juste d’avoir 15 ans, elle est polyhandicapée complètement dépendante et nécessite une surveillance constante jour et nuit. Son état de santé est le résultat d’erreurs médicales ou disons tout simplement de défaut de prise en charge de mon accouchement. La responsabilité médicale du Centre Hospitalier de Riom est reconnue par le plus haut niveau juridictionnel de la justice française à savoir le Conseil d’Etat. Pour autant, malgré cette décision qui aurait dû nous ravir, nos droits aux indemnisations des différents préjudices sont bafoués par de multiples négligences de nos conseils et du système judiciaire : erreurs de lecture, erreurs d’écritures des juges et surtout un non-respect du droit qui fait qu’actuellement nous avons déposé une requête auprès du Conseil d’Etat sur le jugement qui est lui-même déjà un jugement révisé de Cour d’Appel suite à une décision de Conseil d’Etat. Bref, je ne vais pas vous détailler davantage ce sujet pour ma correspondance d’aujourd’hui car il y a beaucoup trop à dire et malheureusement un problème juridique urgent se pose à nous. Celui de la délégation des soins pour les intervenants salariés type auxiliaire de vie au domicile.
Encore quelques éléments descriptifs pour vous permettre de comprendre le contexte sur notre quotidien : J. vit au sein de sa famille depuis la sortie des soins intensifs en mars 1999 et ce malgré la gravité des séquelles : tétra parésie spastique avec hypotonie du tronc et rigidité des quatre membres, ne tient pas assise, troubles sévères de déglutitions, alimentée par pompe de gastrotomie, déficiente visuelle avec une basse vision, épilepsie pharmaco résistante, pas de communication orale. Nous avons toujours estimé que sa sécurité et sa qualité de vie seraient mieux garanties au domicile qu’au sein d’une institution et ce d’autant plus qu’elle n’a aucun moyen de communication et donc « à la merci des tiers » qui en ont la charge .Depuis les années 2000 , nous avons donc eu recours aux aides à domicile et eu l’occasion d’utiliser tous les systèmes pour l’embauche d’un tiers à domicile (l’emploi direct avec déclaration URSSAF mais aussi déclaration CESU , mandataire , prestataire). L’état de santé de ma fille ne s’est pas dégradé, au contraire elle progresse un peu mais les gestes techniques et les contraintes de surveillances restent identiques (à savoir passer le traitement en cours, gérer une pompe de gastrotomie, en cas de crise d’épilepsie le passage du valium par les fesses, surveiller la fièvre et donc gérer les médicaments en cas de fièvre). En avril 2008 avec l’application de la nouvelle législation PCH enfant, nous avons obtenu un plan d’aide généreux, qui devait nous permettre une vie de famille « pseudo normale ». J. a 23 heures de dépendance de reconnue par jour dont 222 heures mensuelles au titre d’un prestataire, le reste en aidant familial avec un déplafonnement des heures.
Le prestataire « X » depuis 2008 n’a jamais réussi à assumer la mission de coordination d’un plan d'aide au domicile aussi volumineux. Au départ ce plan d’aide devait permettre aux deux parents de conserver leur emploi, ce qui n’a pas été possible car la mère a du cesser son activité régulièrement au pied levé pour remplacer les personnels salariés en arrêt et non remplacés (congés, formation, arrêt maladie) .Les problèmes rencontrés ont été résumés dans la synthèse du 19 décembre 2013. J’ai même suspendu le paiement des prestations d’avril 2013 à décembre 2013 pour provoquer une réaction de la Direction, mais sans succès. J’ai fait des signalements régulièrement auprès de la MDPH et auprès du service payeur Conseil Général puis j’ai fini par exiger une rencontre au sein de la MDPH. Au lieu d’analyser les réelles difficultés aux différents niveaux, le prestataire résume la situation en disant ne pas pouvoir remplir sa mission à cause du profil trop spécifique de ma fille. Pourquoi n’a-t-il rien dit, rien fait jusqu’à cette réunion ? A aucun moment le prestataire reconnait ses torts. Le prestataire « X » ne pouvait pas ignorer la lourdeur et la spécificité des tâches car avant de basculer le plan Aides Humaines en tout prestataire, ce sont des contrats mandataires qui ont été signés (ci-joint une copie d’un contrat daté de 2007), l’ensemble des gestes spécifiques ont été rédigés. Sur la spécificité des gestes la situation en 2014 est identique à celle de 2007 et ce en tout point. Alors pourquoi ?
Nous en tant que parents, nous avons le sentiment de payer le prix fort car nous avons osé dire les dysfonctionnements, lever l’omerta. Le service prestataire est en train de définir un ensemble de tâches que le personnel n’aura plus le droit de faire et nous nous retrouvons dans une situation impossible, sans répit, en situation d’aliénation au domicile. La présence constante au domicile d’un des deux parents sera obligatoire car en moyenne il y a une nécessité d’intervention autour de la gastrotomie toutes les quarante-cinq minutes. Je vais devoir finalement payer quelqu’un qui va regarder régulièrement les aidants familiaux travailler. Plus de répit familial possible, et de plus j’ai le droit à la psychologie de comptoir : Mme N., il faudra accepter le handicap de votre enfant et donc l’institution et « ne pas vouloir reproduire une institution chez vous ». Vu le contenu des reportages de M6 : Zone Interdite 19 janvier 2014 Maltraitance Institutionnelle : stop à l’omerta et celui de la 5 La France d’en Face 21 janvier 2014 « Mon fils, un si long combat » réalisé par Eglantine Eméyé, je pense qu’il n’est pas nécessaire que je vous dise mes craintes et angoisses en tant que mère et ce d’autant plus dans notre situation puisque la dépendance est le résultat d’erreurs médicales.
Du coup effectivement nous avons relu les textes sur la délégation des soins et les politiques ne sont pas allés au bout des démarches, la loi a été publiée mais pas les décrets d’application. Si nous avons bien compris, seule une circulaire de mars 1999 et l’article 9 de la loi du 11 février 2005 (Egalité des chances, textes MDPH et PCH) ont été publiés. Le législateur a clarifié les actes pour les personnes ayant une trachéotomie par la publication d’une circulaire mais n’a pas était au bout pour le reste des besoins des personnes lourdement handicapées: gastrotomie, passage des médicaments. De plus, à l’époque, visiblement des syndicats infirmiers se sont farouchement opposés. Vous comprenez bien que dans notre situation au domicile un infirmier ne peut pas intervenir toutes les 45 minutes. Comment une profession peut ainsi s’opposer tout en sachant qu’à ce type d’acte, trop répétitifs, journaliers, chroniques, ils ne pourront pas répondre. Acter cette législation n’aura aucun impact sur des pertes éventuelles financières pour cette profession, ni de coût supplémentaire pour l’état.
Autre élément de discussion : les parents ou un proche sont autorisés à tout faire ainsi qu’un bénévole ou une personne embauchée en emploi direct dans la mesure où tout le descriptif du poste et donc des gestes sont rédigés dans le contrat de travail. De mon point de vue d’usagers cela implique que l’Etat français a volontairement privilégié le plus démuni, la personne sans qualification, à des tâches de « haute technicité » (vous comprendrez que je m’autorise à un peu de dérision). J’explique mon propos : la gastrotomie ne mettant pas en jeu les fonctions vitales d’un individu, je ne comprends pas pourquoi le législateur a réussi à légiférer pour la trachéotomie, geste avec des enjeux vitaux réels et sérieux et pas pour la gastrotomie. C’est incompréhensible. J’ai pour habitude de dire que la gastrotomie, ce n’est ni plus ni moins que de la plomberie et au pire si on se trompe la personne aura jeuné, rien de grave en soi, cela arrive à tout à chacun.
Vous n’ignorez pas que les prestations Aides Humaines PCH ne sont pas égalitaires, le dédommagement au titre de l’emploi direct ne permet pas de faire face à l’ensemble des frais. Ceci est une injustice supplémentaire mais il s’agit là d’un autre sujet. Des associations (comme par exemple la Coordination Handicap Autonomie) militent pour ces questions et ont déjà détaillé toutes les problématiques. Le particulier employeur a des obligations auxquelles un service prestataire arrive lui à se soustraire, comme la visite médicale par un médecin du travail.
Parce que nous avons osé lever l’omerta, nous allons donc devoir en plus en payer financièrement le prix car à très court terme, nous allons être obligés de recourir à l’emploi direct pour trouver des alternatives acceptables, de qualité. Mais le prestataire, structure rémunérée au tarif PCH le plus élevé est payé quoi qu’il fasse ; même si il ne remplit pas correctement ses missions de coordination, il peut poursuivre impunément des missions sans respect pour l’usager, bafouer les droits des salariés en toute impunité et poursuivre ses enjeux commerciaux, faire un maximum de bénéfice.
Je fais donc référence à votre discours « libérer la parole et rompre l’omerta. Je veux que les parents sachent que la place de leur enfant ne sera jamais menacée parce qu’ils auront fait un signalement. Seul le prononcé fait foi ». J’espère être enfin entendue comme il se doit et sans jugement .Ce courrier pour vous demander de pouvoir publier au plus vite les décrets pour que la délégation de soins soit possible au domicile par des personnes qualifiées, embauchées via les prestataires.
Dans l’hypothèse d’un aboutissement favorable à ma demande, pourriez-vous nous informer du contenu de la législation et de son application.
Je reviendrai vers vous régulièrement pour vous faire part de notre vécu, quinze ans que nous subissons les systèmes, citoyens de la société civile invisible dont les droits sont quotidiennement non respectés par des citoyens de la société civile « lambda » soit disant professionnels et garants d’une qualité de service. Est-ce de l’inconscience ? De la négligence ? De la lassitude de son métier ? Un ego exagéré ? Une incapacité à entendre une critique et donc à réfléchir sur ses pratiques ? Une incapacité à imaginer que quiconque peut être faillible ne serait-ce qu’une fois dans ses pratiques professionnelles ? Ou tout simplement la routine avec en plus le sentiment du devoir accompli ?
Votre discours nous donne l’espoir que notre témoignage puisse permettre un changement en faveur du bon sens et de la bientraitance. En souhaitant vous avoir sensibilisée au sujet et à l’urgence d’acter la législation, je vous prie de recevoir, Madame, l’expression de mes sincères remerciements.
Mme N. »